En 2021, les bénéfices des grandes entreprises cotées en Bourse ont progressé de 53 % par rapport à l’année précédente, alors que le pouvoir d’achat des ménages reculait. Certains groupes de la distribution et de l’énergie ont enregistré des marges historiques, tandis que les salaires réels stagnaient ou baissaient dans de nombreux secteurs.
Des acteurs économiques parviennent à tirer parti de la hausse généralisée des prix, tandis que d’autres en subissent les contrecoups. Cette configuration inédite bouleverse les équilibres traditionnels et redistribue les cartes entre entreprises, salariés et consommateurs.
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Plan de l'article
Comprendre l’inflation post-pandémie : origines et dynamiques actuelles
L’inflation qui secoue la France depuis 2021 ne s’est pas imposée par surprise. L’Insee constate que la flambée de l’indice des prix à la consommation s’appuie sur deux moteurs redoutables : la reprise économique après la crise sanitaire et des marchés mondiaux sous tension. D’abord, la pandémie a mis à mal les chaînes logistiques, ce qui a aussitôt propulsé vers le haut les prix des matières premières, les coûts du fret et ceux de l’énergie. Dès l’automne 2021, l’inflation durable s’installe, bien avant que la guerre en Ukraine ne vienne jeter de l’huile sur le feu.
L’offensive russe en Ukraine n’a fait qu’envenimer le tableau. Résultat : la hausse des prix de l’énergie, gaz, pétrole, électricité, s’est diffusée partout. Les prix alimentaires ont suivi, nourris par l’envolée des coûts agricoles et industriels. L’Europe a vu son taux d’inflation toucher des sommets, frôlant les 10 % fin 2022.
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Face à cette spirale, la Banque centrale européenne (BCE) a relevé ses taux directeurs pour tenter de freiner cette montée des prix. Mais les effets de cette politique tardent à soulager les factures du quotidien.
Quelques chiffres donnent la mesure du phénomène :
- Prix de l’énergie : +18,5 % sur un an en France (Insee, 2022).
- Prix des produits alimentaires : +14,8 % sur la même période.
- Indice des prix à la consommation : +5,2 % en moyenne annuelle (France, 2022).
L’inflation post-pandémie ne répond à aucun scénario unique : choc sur l’offre, tensions géopolitiques, recomposition des échanges mondiaux. Les prix s’envolent et exposent au grand jour les failles de l’économie française.
Quels secteurs et acteurs tirent avantage de la hausse des prix ?
Les bilans 2022 parlent d’eux-mêmes : la hausse des prix a servi de tremplin à des profits hors normes dans certains secteurs. Les entreprises de l’énergie, producteurs, distributeurs, raffineurs, enregistrent des résultats inédits. TotalEnergies, Engie, ou encore les raffineurs, voient leur taux de marge bondir alors que gaz, pétrole et électricité s’arrachent à prix d’or. Malgré la facture finale qui s’alourdit pour les consommateurs, les dividendes s’envolent à des niveaux jamais vus.
Même tendance du côté du secteur agroalimentaire. Lactalis, Danone, Nestlé : ces géants ont profité de la flambée des prix alimentaires pour ajuster leurs tarifs. La pression sur l’offre et une politique tarifaire habile permettent de maintenir, voire d’augmenter, les marges. Les grandes enseignes de la distribution n’ont pas freiné l’allure : elles ont fait passer la hausse des coûts sur les étiquettes, tout en préservant leur rentabilité.
Les fonds d’investissement comme Blackrock n’observent pas la vague de loin : présents à toutes les étapes de la chaîne, ils profitent des secousses des marchés et de l’inflation pour renforcer leur mainmise sur l’économie réelle. Même certains groupes de télécommunications, à l’image d’Orange, arrivent à soutenir leur rentabilité : si l’évolution des prix de la consommation harmonisée reste modérée dans leur secteur, les services annexes voient leurs tarifs grimper.
La hausse des prix ne profite pas à tous dans les mêmes proportions : alors que certains affichent une croissance à deux chiffres, d’autres subissent la hausse sans pouvoir la répercuter. L’écart se creuse, la concentration s’intensifie.
Des inégalités accentuées : l’impact sur les ménages et le tissu économique
La hausse des prix frappe d’abord les ménages les plus vulnérables. L’inflation touche principalement l’énergie et les produits alimentaires, des postes de dépense incontournables pour les foyers modestes. D’après l’Insee, ceux dont les revenus se situent sous le seuil médian subissent de plein fouet la hausse des prix à la consommation en France. Les arbitrages deviennent quotidiens : chauffer moins, réduire les achats alimentaires, revoir ses priorités.
Les salaires progressent, certes, mais bien moins vite que les prix. L’écart se creuse, aggravé par la hausse des taux d’intérêt qui renchérit le coût du crédit. Pour les ménages déjà endettés, la situation se tend. Les banques centrales relèvent leur taux nominal pour freiner la spirale inflationniste, mais dans la vie courante, les conséquences sont immédiates : crédits immobiliers bloqués, projets mis en attente, consommation au ralenti.
Pour atténuer le choc, l’État déploie le bouclier tarifaire et différentes aides ciblées, mais ces mesures ne couvrent qu’une partie du terrain. Côté entreprises, la pression s’intensifie également. Les petites structures, notamment dans l’artisanat et le commerce de proximité, disposent de marges de manœuvre étroites pour ajuster leurs tarifs. L’économie se tend : d’un côté, les grands groupes continuent d’engranger, de l’autre, une part du tissu productif s’amenuise, coincée entre flambée des coûts et stagnation des revenus.
Décrypter les mécanismes : pourquoi certains profitent quand d’autres subissent
La hausse des prix ne frappe pas tout le monde avec la même intensité. D’un côté, les ménages voient leur pouvoir d’achat laminé ; de l’autre, certains groupes surfent sur la profitflation : cette dynamique où les entreprises gonflent leurs marges en invoquant la hausse des coûts de production. L’Insee relève une progression marquée des taux de marge dans l’agroalimentaire et l’énergie, pile au moment où la spirale des prix s’emballe.
Le mot shrinkflation s’est imposé sur les étiquettes : le produit rétrécit, le prix reste. Le client, lui, paie plus pour moins. Autre mécanique : l’excuseflation. Ici, la conjoncture sert de prétexte pour ajuster les tarifs au-delà des seules hausses réelles de coûts.
La fameuse spirale prix-salaire ne s’est pas emballée en France, mais la tension est bien là. Les groupes dotés d’une forte puissance de marché, raffinage, agroalimentaire, répercutent sans état d’âme la hausse des coûts des matières premières sur les prix finaux. À l’opposé, salariés et petites entreprises, souvent incapables de négocier ou d’ajuster leurs tarifs, encaissent, sans pouvoir compenser.
Voici comment se répartissent concrètement les rôles :
- Les grands groupes disposent d’un véritable pouvoir pour fixer les prix à leur avantage.
- Les ménages et les petits producteurs encaissent l’inflation sans pouvoir se protéger.
Au final, tout se joue dans le rapport de force : qui contrôle la production, qui peut influencer le marché, qui subit sans marge de manœuvre. L’équation de l’inflation ne laisse aucun doute : la place occupée dans la chaîne économique détermine tout.
Quand les prix flambent, certains s’enrichissent, d’autres s’épuisent. Et le jeu ne fait que commencer.